Énergie et main-d’œuvre au cœur de la marge
Ces deux facteurs essentiels de la production représentent un coût, qui mérite d’être appréhendé au-delà de celui des matières premières. Décryptage avec Erwan Guillou, conseiller de gestion spécialisé en boulangerie et restauration.
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Coûts
Deux postes majeurs
Le coût de production d’une baguette de pain comprend schématiquement à 40 % celui de la masse salariale et à 15 % celui de l’énergie. « L’énergie compte autant que la farine ! martèle Erwan Guillou, conseiller en gestion spécialisé dans le secteur de la boulangerie. Avec la main-d’œuvre, ce sont des leviers auxquels il faut faire très attention. Une bonne stratégie de gestion doit les intégrer à la réflexion globale. » En renégociant ses tarifs d’électricité, via des courtiers par exemple, il n’est pas rare de réduire de 10 à 15 % sa facture, constate le conseiller. « Consacrer une journée de son temps à cela constitue une valorisation concrète de mille euros sur l’année pour une entreprise dont les frais annuels d’électricité sont de dix mille euros, compte-t-il. Ce temps est donc vite amorti. » La vocation première d’un artisan est de produire. Cependant, la boulangerie est une entreprise à part entière, avec des problématiques en termes de gestion (analyser le passé) et de pilotage (gérer le futur) qui s’ajoutent à celles de production.
Main-d’œuvre
Un rôle de chef d’orchestre
« La masse salariale a fortement augmenté ces dernières années, constate Erwan Guillou. Du fait des tensions sur les métiers de la boulangerie, les salaires exigés sont plus importants. En outre, le coût de la main-d’œuvre moins qualifiée suit celui du salaire minimum. Ainsi, les ratios de masse salariale, qui représentaient ordinairement 35 % du chiffre d’affaires, se trouvent désormais plus souvent au-dessus des 40-50 %, poursuit-il. Chaque modèle économique de boulangerie est différent et il ne s’agit pas tant de viser un ratio le plus faible possible que d’utiliser la main-d’œuvre au mieux pour produire efficacement. » Le premier levier, pour le conseiller en gestion, est donc de prendre le rôle de chef d’orchestre. On place les salariés au bon poste, là où ils sont bons et là où ils prennent du plaisir. Le deuxième levier est de viser un optimum en adaptant l’organisation et les outils. Avec la hausse de la taille des boulangeries, certaines tâches peu qualifiées prennent parfois de plus en plus d’heures. « L’emploi de personnes moins diplômées à ces postes ne doit plus être tabou », évoque-t-il.
Matières premières
Relativiser leur poids
L’achat des matières premières est souvent donné comme un facteur essentiel du prix de revient. Pour Erwan Guillou, c’est effectivement l’une des composantes de la marge, qui mérite d’être bien appréhendée. « Par exemple, la hausse des volumes de snacking représente pour les boulangers une exposition forte susceptible de dégrader la rentabilité : le chiffre d’affaires augmente avec la vente de ces produits, souvent de façon très significative ; cependant, le coût des matières premières est également élevé : dès que l’on jette une tranche de jambon ou de saumon, les pertes sont très importantes car on manipule des produits à forte valeur. En réalité, l’on doit raisonner le business du snacking avec un référentiel de marges qui se rapproche plus de celui de la restauration que de la boulangerie. Ce faisant, il y a un travail à effectuer sur les modèles mentaux existants. Un sandwich jambon-beurre devrait souvent être vendu plus cher qu’un poulet crudités, car le coût de ses matières premières est plus élevé. Le poulet étant moins coûteux que le jambon, notamment. » Mais le coût des matières premières est aussi un critère que l’on ne maîtrise pas. Acheter pas cher n’est d’ailleurs pas automatiquement relié à une rentabilité forte. « Fonder toute sa stratégie de gestion sur ses achats de matières premières est dangereux, analyse Erwan Guillou. Qui aurait pu prédire l’explosion du coût du cacao ou le doublement du prix de la levure et la guerre en Ukraine ? »
Gestion
Ramener ses charges au produit
Un autre conseil que donne Erwan Guillou est de rapporter ses charges, comme la facture d’énergie ou la masse salariale, au nombre de produits. « Par exemple, si je vends quarante mille produits par mois avec une facture de quatre mille euros d'énergie, j'ai une estimation de coût de cette dernière de dix centimes d'euro. Évidemment, cet indicateur représente une approximation grossière de ce qui se passe dans la réalité, mais cela permet d’être réactif car l’énergie est plus importante pour cuire certains types de produits que d’autres, et toute hausse de charge qui n’est pas répercutée dégrade la marge. Car l'énergie est plus importante pour cuire certains types de produits que pour d'autres. Néanmoins, c’est un indicateur simple, qui a le mérite d’être fiable et parlant. Je suis partisan d’appliquer cette même logique pour projeter les charges les plus importantes via les ratios comptables de l'entreprise à l’échelle du produit fini. Par ailleurs, une augmentation s’explique et se valorise surtout si l'on pense aux dernières crises traversées. »
Indicateurs
Pas de modèle unique
Le taux de masse salariale, le poids des matières premières… Il est tentant en boulangerie de se fixer des objectifs en termes de ratios. « Cependant, très rapidement, on se heurte à la difficulté liée au fait que chaque entreprise est unique, insiste le conseiller en gestion. On hérite de tout un historique, d’une certaine clientèle, d’un partage particulier du travail et des compétences. Il n’y a donc jamais de réponse unique aux problématiques de maîtrise de la marge commerciale. Dans une grande boulangerie, il est normal d’avoir une part de masse salariale plus importante. À l’opposé, il existe des points de vente très performants avec un seul emploi à temps plein non salarié, et donc une masse salariale presque nulle. Selon moi, il n’y a qu’un seul indicateur à suivre, c’est le taux de marge, qui doit être à mon sens de 75 %. »
Rentabilité
Renverser l’effet cumulé
Le secteur de la boulangerie représente le domaine commercial avec le plus petit panier moyen par client. « Il est donc extrêmement sensible à ce que l’on appelle l’effet cumulé, explique le conseiller. Concrètement, 300 jours de vente dans l’année à raison de 300 clients par jour totalisent 90 000 paniers de vente. Supposant que l’on arrive à vendre un croissant à un euro de plus tous les dix clients, cela représente un chiffre d’affaires supplémentaire de 9 000 € sur l’année. Le problème est que cet effet cumulé marche en positif comme en négatif. Ainsi, que l’on améliore ou dégrade son chiffre d’affaires à la petite cuillère, on brûle des centimes… L’effet unitaire d’une vente réussie ou ratée est invisible tandis que la somme de ces effets a un impact absolument majeur. »
Plusieurs chemins possibles
« La rentabilité et la marge doivent être les seuls objectifs de gestion, tranche Erwan. Pour résoudre la question des salaires ou de l’énergie il faut que le taux de marge soit cohérent avec les dépenses de l’entreprise : c’est cela qui permet de vivre, ce ne sont pas tant les achats que le taux de marge qui est important. Ensuite, il peut y avoir plusieurs chemins pour y arriver en fonction de chaque cas spécifique. Il n’y a pas une technique passe-partout. Le changement de recette pour produire moins cher en est une mais aussi la modification des portions, la hausse du prix, la gestion de la main-d’œuvre, une meilleure maîtrise des coûts de l’énergie. L’idéal est de choisir des options à coût maîtrisé et à bénéfices multiples. Un batteur neuf peut ainsi permettre d’économiser à la fois du temps et de l’énergie, et d’accroître sa production. La seule chose qui écrase les charges, c’est le chiffre d’affaires. C’est là où une bonne équipe de vendeurs et de vendeuses semble également incontournable. L’humain reste au cœur de la performance en boulangerie. »
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